Cession de droits sociaux : la garantie d’éviction doit être proportionnée

D’une manière générale, applicable au droit de la vente, la garantie d’éviction a pour objet d’assurer à l’acquéreur la possession paisible de la chose vendue. En application de l’article 1626 du Code civil, aucune stipulation expresse de cette clause n’est exigée ; elle s’associe de facto à la chose vendue.

L’extension de cette garantie à la cession des droits sociaux, n’a pas été pas immédiate.

Dans un premier temps, deux logiques s’opposaient quant à sa mise en application aux droits sociaux : une approche large assimilait la cession des droits sociaux à une cession d’entreprise et une approche stricte limitait la garantie aux seuls droits sociaux, réduisant le domaine de la garantie d’éviction à quasiment rien.

Dans le cadre de cession de titres de sociétés commerciales, la jurisprudence Ductros de 1997 (Cass.com., 21 janv. 1997, n° 94-15.207) est venue poser le principe suivant : la garantie d’éviction était recevable lorsque le cessionnaire, en raison des agissements du cédant, n’était plus capable de poursuivre l’activité économique de la société et de réaliser l’objet social.

La Cour d’appel de Versailles, avait quant à elle affirmé d’une manière générale - dans un arrêt rendu le 20 novembre 1997 - que « la garantie d’éviction trouve ses limites dans la durée et en étendue dans l’obligation d’exécuter de bonne foi la cession »( CA Versailles, ch.13, 20 nov. 1997 : RJDA 4/98, n° 439).

L’arrêt rendu en l’espèce apporter des précisions quant à l’appréciation temporelle de ladite garantie en cas de cession des droits sociaux.

Les faits sont les suivants : les actionnaires d’une société éditant des logiciels avaient décidé de céder leurs parts en 2007. Ils concluent alors un contrat de travail avec la société cédante et deviennent actionnaires de la société cessionnaire.

Après avoir démissionné de leurs fonctions salariées, ils décident de créer une nouvelle société.

L’acquéreur des parts, la société Linagora, agit en garantie d’éviction contre les cédants leur reprochant d’avoir, trois ans après la cession de leurs parts, créé une société dans le même domaine d’activité. La Cour d’appel fait droit à cette demande sur la base de la jurisprudence Ductros (Cass.com., 21 janv. 1997, n° 94-15.207), et condamne les cédants à indemniser le requérant au titre de la perte de valeur des actions cédées résultant de la création de ladite société. Un pourvoi est formé.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel. Elle admet une restriction au principe de liberté du commerce et de l’industrie proclamé par l’article 7 du décret Allarde du 2 mars 1791, au nom de la garantie d’éviction, mais à condition que l’interdiction imposée au cédant, soit justifiée, au moment de la contestation, au regard de l’activité de la société dont les actions avaient été cédées et au marché concerné.

Par cette décision, c’est la première fois que la Cour, impose une condition de proportionnalité entre la garantie d’éviction des titres et l’intérêt légitime à protéger, appréciée au cas par cas. L’application de la garantie d’éviction à la cession de droits sociaux reste donc assujettie à de nombreux aléas au regard des jurisprudences fluctuantes de la Cour de cassation.

Le recours aux garanties contractuelles telles que la garantie d’actif et de passif et la clause renforcée de non-concurrence demeurent une nécessité ; le dispositif étant imparfait à couvrir les risques liés à une transmission d’entreprise via la vente massive de droits sociaux.

Cass.com, 10-11-2021, n°21-11.975F-B, B c/Sté Linagora

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Publié par Libert Avocats

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